Les débouchés de l’Agriculture Biologique par Slim Kabbaj, Chef d’entreprise, Président CEBio & Dr. Yasser Medkouri, Chef d’entreprise, Vice-président CEBio
La mise en place d’une politique publique sectorielle nécessite des analyses approfondies sur les enjeux dans le secteur et sur les mouvements systémiques ; elle a certainement de meilleures chances de réussite si elle est fondée sur un partenariat public – privé mobilisant les opérateurs – leaders, et sur le benchmarking d’expériences réussies. Ce qui pourrait apparaître comme un cercle vicieux pour un pays qui débute, selon le problème de l’œuf ou de la poule (de l’amont à l’aval) comme pourrait le faire supposer l’observation superficielle des filières Bio, montre un fil d’Ariane. En effet, le secteur des productions Bio des pays avancés montre aux observateurs avertis des sous-systèmes et leurs interrelations, que nous allons présenter ci-dessous pour faciliter la prise de décision pour le plan Génération Green en gestation.
1. La première leçon qui ressort est que l’agriculteur Bio ne doit pas attendre que l’on vienne distribuer ses produits frais, que le distributeur ne doit pas attendre que les agriculteurs ou les intermédiaires livrent son point de vente, que l’opérateur ne doit pas attendre que l’Etat prenne en charge la chaîne de valeur. Le concept d’Etat providence et l’assistance ont vécu et ne sont pas des démarches soutenables et viables, surtout pas dans les filières biologiques qui nécessitent une prise de conscience, de la rigueur et des connaissances.
2. La deuxième leçon est que c’est au secteur privé de jouer son rôle de création d’entreprise, de développement stratégique, de reconversion ou de mutation. Ca va sans dire, mais c’est mieux en le disant : l’Etat ne devrait pas se substituer au secteur privé, mais jouer le rôle de régulateur, de stratège et d’accompagnateur pour orienter l’investissement. Dans le déploiement des entreprises, la politique publique peut faciliter l’implémentation des stratégies entrepreneuriales par la réglementation, les mesures incitatives, les soutiens symboliques et partant de créer l’environnement adapté.
3. La troisième leçon est que le fil d’Ariane de la politique publique dans le Bio devrait commencer par la consommation et la dynamisation de la demande. Quand la demande est là, l’initiative privée va naturellement à sa rencontre avec des offres plus ou moins adaptées. Les premières fermes Bio au Maroc se sont développées pour répondre à la demande des consommateurs européens, via les distributeurs du continent. Actuellement, le consommateur marocain s’intéresse aux produits Bio et le trouve de plus en plus dans les points de vente, petites surfaces ou grandes surfaces, supermarchés spécialisés ou magasins mixtes. Selon nous, le déclencheur essentiel du mouvement Bio est dans la consommation. Des campagnes de communication justes et multidimensionnelles ciblant les consommateurs devront être conçues, avec une argumentation solide basée sur les questions de santé et sur la protection de l’environnement. A cet égard, l’un des actions les plus « impactantes » vient de la rencontre entre l’opérateur et le consommateur, où l’histoire du produit forme la structure du message, notamment pour donner sens à l’alimentation de ce dernier, en conscience.
4. Partant de ces trois leçons et pour introduire les débouchés, nous devons rappeler que la pyramide de valeur ajoutée dans le Bio est basée sur l’agriculture et l’élevage. Aujourd’hui un nombre certain d’agriculteurs veulent se convertir au Bio, continuent à développer leurs fermes Bio ou à intégrer d’autres exploitations pour élargir l’offre. Ils disent clairement qu’au delà de la motivation et de la passion personnelle, c’est l’existence de débouchés concrets pour les productions qui stimule la prise de risque, fait grandir l’envie et assure la durabilité dans la rigueur. Dans notre analyse ci-dessous, les exemples de débouchés, les plus significatifs, tels que développés dans les pays avancés, sont pris en compte, tout en intégrant les priorités gouvernementales de notre pays. Nous allons discuter ceux qu’il devient urgent de développer et dans lesquels nous présentons un retard certain ; ces débouchés pourront être concrétisés par le plan Green Génération et se fonder sur une intervention concertée public – privé.
5. Si la demande en produits frais Bio est connue et reconnue (fruits, légumes, produits laitiers, viande) et si la surface des cultures Bio évolue positivement, trop légèrement certes, certains producteurs font état régulièrement de surproductions et de la difficulté d’écoulement. Cette situation peut réduire l’intérêt des producteurs existants à continuer à se développer et décourager ceux qui seraient tentés par la conversion. Il est plus que temps aujourd’hui de ne pas se limiter à la commercialisation des produits bruts. L’une des priorités pour le Maroc les dix prochaines années est la mise en place d’unités de transformation, de dimension moyenne et adaptées au marché du Bio pour commencer ; c’est le premier débouché de distribution que nous proposons. Celui-ci est important à considérer car il est susceptible d’absorber les productions actuelles et d’en attirer bien d’autres, et ainsi de conduire à la mise sur le marché de multiples produits à valeur ajoutée. Ces produits actuellement importés sont demandés par les consommateurs. Cette stratégie de développement est du ressort du secteur privé, en terme d’investissement, de mise en place d’unités de production et d’entrée sur le marché, de la formation de l’expertise nécessaire. La politique publique peut créer les mesures incitatives et les facilités susceptibles d’accélérer le mouvement d’entraînement, qui sont fondamentales dans l’accompagnement.
6. Un deuxième débouché, qui s’est beaucoup développé dans les pays avancés, est celui de la restauration Bio. Ce secteur est balbutiant au Maroc, avec quelques initiatives isolées. La démarche dans ce cadre nécessite de la promotion auprès des consommateurs, mais aussi la structuration et la crédibilité de l’offre. A ce titre, les certificateurs, en accord avec les décideurs publics et leur agrément, peuvent mettre en place des processus de certification des restaurants, basés sur un système de points, dépendamment du nombre de plats Bio sur le menu et de produits Bio utilisés. Des démarches de ce type connaissent un succès significatif en Europe.
7. Le troisième débouché, dont on parle beaucoup en France notamment, est celui des cantines scolaires, de la restauration collective dans le public et dans le privé. Ce qui est nécessaire ici en termes de conditions de réussite consiste en la mise en relation, la réduction des coûts grâce à la subvention des agriculteurs, la valeur d’exemple des réussites et bien sûr la communication au public. Les collectivités locales seront particulièrement sollicitées pour la question des cantines scolaires, afin de concevoir une politique locale avec les entreprises régionales concernées. Pour toutes ces possibilités, le prix des produits est un paramètre essentiel et donc les subventions à la production vont permettre de franchir le pas et créer de nouvelles habitudes alimentaires, à des coût attractifs.
8. Le quatrième débouché est celui de l’export. Nous avons déjà beaucoup écrit sur l’export ; rappelons seulement que les aides à l’export devront être mobilisées, à l’instar de ce qui se fait en agriculture conventionnelle. L’exportation des produits à valeur ajoutée serait un prolongement logique et intéressant sur le plan économique et favorable à la balance commerciale. Les subventions à la production agricole et les mesures incitatives pour la transformation vont représenter là aussi des avantages compétitifs pour notre stratégie commerciale à l’export des produits Bio.
La démarche intégrée de développement telle que déclinée ici est à même d’accélérer l’évolution rapide des filières Bio, en termes de surface agricole, de création d’emplois et de richesses, et en vue d’inscrire le Bio dans l’économie du pays, durablement. Nous n’insisterons jamais assez sur le fait que le partenariat public – privé orienté action représente la garantie de la mobilisation de ressources humaines compétentes, innovantes et créatives, et un facteur favorable à la mobilisation des investissements nationaux et internationaux.
Slim Kabbaj, Chef d’entreprise, Président CEBio & Dr. Yasser Medkouri, Chef d’entreprise, Vice-président CEBio