A l’occasion du Green December, Slim Kabbaj, Président de Green Village – Distribio et Président du Club des Entrepreneurs Bio (CEBio), décortique pour nos lecteurs dans cette interview accordée à La Nouvelle Tribune, les tenants et aboutissants de la filière Bio au Maroc.
1) Pour beaucoup, le Bio est synonyme de produits chers et élitistes avant même d’être associé aux bienfaits pour la santé des consommateurs. Comment contredire cette perception ?
La même situation avait cours dans les pays avancés dans les années 70, puis la perception a changé et aujourd’hui la filière biologique représente bien plus qu’une niche, et est devenue un secteur à part entière dynamique. N’oublions pas que ces situations se sont répétées avec des produits nouveaux, élitistes au démarrage, comme la viande, la voiture, le jean, etc., dans différents horizons, à travers le monde. Comment contredire cela ? Par la communication et la sensibilisation des consommateurs, par un plaidoyer crédible et honnête, en facilitant l’accès aux produits de façon réfléchie, loin de solutions contre productives.
2) Quel rôle peuvent jouer les différents acteurs de la filière pour démocratiser l’accès à ces produits ?
La responsabilité revient aux opérateurs concernés par le développement de la filière et autant à celle des pouvoirs publics, de démocratiser et de faciliter l’accès aux produits Bio. Les enjeux nationaux et les tendances internationales vont clairement en faveur de ce secteur. Je crois que le plan Génération Green pourrait orienter solidement notre économie dans ce sens.
Pour ce qui concerne les professionnels, ils ont un rôle déterminant en structurant la filière de manière adéquate, en s’assurant d’établir des « prix justes », adaptés au marché, en assurant des règles déontologiques de respect des cahiers des charges et enfin, en faisant preuve de rigueur dans la mise en place des moyens de contrôle sur toute la chaine de valeur. Je crois aussi qu’il est essentiel que le partenariat public – privé soit une règle de fonctionnement courante, de la concertation à l’amont, à la mise en place de projets coordonnés, et aussi d’une politique intégrée de sensibilisation du consommateur. A cet égard, le Livre Blanc du Club des Entrepreneurs Bio résume l’approche multidimensionnelle que nous conseillons en tant qu’entrepreneurs, et propose des projets novateurs public – privé.
3) À l’étranger où la consommation est fortement industrialisée, le Bio est présenté comme une alternative environnementale qui justifie son prix. Dans quelle mesure le Maroc, dont les traditions de produits du terroir font la renommée internationale, peut-il se distinguer dans son approche du Bio ?
La raison principale qui justifie le prix des produits Bio est le respect des cahiers des charges issus de la loi 39-12 et des textes d’application associés, dont les articles sont très contraignants, et qui conduisent à la nécessité de certification par un organisme spécialisé privé, ayant obtenu lui-même l’agrément du gouvernement. Ces cahiers des charges sont le résultat d’un long travail d’élaboration, qui a permis d’inclure effectivement des règles respectueuses de l’environnement et la non-utilisation des intrants chimiques et autres pesticides, pénalisant pour la nature, le sol, l’eau, l’air et la biodiversité.
Ces règles sont similaires à celles des cahiers des charges des pays avancés, notamment européens. Il est reconnu aujourd’hui que l’agriculture biologique est la meilleure forme d’agriculture durable et que les produits qui en résultent sont plus écologiques et aussi meilleurs pour la santé. Il est certain que les politiques déjà élaborées sur les produits du terroir vont faciliter la conversion vers des produits locaux Bio et leur promotion.
4) Les pouvoirs publics sont une partie intégrante du développement de la filière Bio ; mais les dispositifs d’accompagnement sont-ils efficaces ? Quelles sont donc les ambitions des professionnels du secteur que les pouvoirs publics devraient soutenir et concrétiser ?
La loi sur la subvention pour la conversion des agriculteurs au Bio a été récemment mise en application, notamment avec un outil informatique de traitement des dossiers. Et c’est une bonne nouvelle. Il y a encore beaucoup à faire, pour les 2 parties, pouvoirs publics et secteur privé, avec des projets sur lesquels nous convergeons, en particulier avec le Ministère de l’Agriculture :
- L’actualisation et l’avancement de la réglementation pour lever les barrières qui freinent les progrès sur le terrain et faciliter le travail ;
- Lancer des campagnes de communication orientée consommateurs ;
- La mise en place de l’Agence Bio, sous forme de groupement d’intérêt public, pour créer les ponts entre le privé, les opérateurs, et les départements ministériels concernés (Ministère de l’Agriculture, M. Commerce et Industrie, M. de la Santé, M. de l’Environnement, etc.). Cette agence pourrait être bicéphale, pilotée par le privé et par le public ;
- Le soutien à la mise en place du grand « Biopark » national, écosystème spécialisé, et des zones économiques et logistiques dans diverses régions ;
- Le soutien aux locomotives nationales et aux fermes d’intégration leaders, sur le plan régional ;
- La mise en place d’un fonds d’investissement public privé ;
- La mise en place d’une plateforme d’export en Europe ;
- La création d’une banque nationale de semences.
5) Les Grands Marchés Bio Green Village se sont imposés depuis une dizaine d’années comme une vitrine des acteurs du Bio en favorisant notamment le référencement des produits de nouveaux entrants. Qu’est-il prévu pour aider au développement des nombreux entrepreneurs qui se lancent dans l’aventure du Bio ?
Les magasins Green Village sont effectivement devenus des vitrines du Bio marocain, où les plupart des opérateurs entreprenants et persévérants sont présentés via leurs produits aux consommateurs. Nos équipes continuent à sélectionner les produits du terroir certifiés Bio et à leur donner de la visibilité et le rayonnement qu’ils méritent. Plusieurs sont très présents sur le territoire national et actifs à l’export. Nous les impliquons dans les campagnes de promotion, comme actuellement dans le programme « Green December » sur les ondes radio, sur les journaux et dans les réseaux sociaux.
Je suis pour ma part président du Club des Entrepreneurs Bio (CEBio), club très actif depuis plus de 2 ans, qui a déjà organisé le 1er salon national du Bio et les salons régionaux à Rabat et à Marrakech. Les opérateurs nationaux ont ainsi pu présenter leurs produits au grand public, qui ont connu beaucoup de succès. Les trophées à l’export ont aussi représenté un événement majeur pour les professionnels du Bio.
Plus récemment, conscients des nouveaux entrants dans le secteur, passionnés et dynamiques, nous avons mis en place un groupe d’appui aux porteurs de projet de transformation. Comme indiqué plus haut, notre ambition sera ensuite de créer un fond d’investissement pour le développement des produits Bio. Nous avons enfin décidé de faire de l’année 2021 l’année des produits Bio à valeur ajoutée. Ainsi, c’est en étant proactifs ensemble, managers publics et opérateurs privés, que nous allons installer la filière sur les bonnes voies et mettre le Maroc sur la carte des pays avancés dans les divers domaines de production du Bio.
Entretien réalisé par Zouhair Yata