Les pesticides ont-ils des effets nocifs sur la santé des consommateurs marocains et quels sont les atouts santé du biologique ?
Le débat pour le Bio qui serait meilleur pour la santé, et contre le conventionnel qui serait toxique, n’est pas nouveau et il est récurrent. Ce n’est pourtant que récemment que des travaux de recherche sérieux commencent à être publiés, avec le recul suffisant et les conditions d’indépendance scientifique nécessaires. Avant d’approfondir la revue des travaux, commençons par la réflexion de bon sens du consommateur régulier de nourriture Bio: le produit final d’un produit est le résultat de ce qu’on y a mis.
Ainsi, pour certains, savoir qu’ils consomment des produits qui n’ont pas été contaminés par des pesticides et autres produits phytosanitaires suffit pour les convaincre. C’est le principe de précaution ! Ces produits ne peuvent être que meilleurs pour la santé que des produits et aliments transformés issus de l’industrie agroalimentaire conventionnelle, dans lesquels on peut retrouver des produits chimiques.
Le dilemme n’apparait pas si complexe : donnerions-nous à nos enfants un produit dans lequel on retrouve des additifs et conservateurs chimiques ou alors un produit issu d’une agriculture avec des ingrédients sains et sans pesticides, respectueuse de l’environnement ? Et puis, consommer Bio, c’est retrouver instantanément le goût des produits naturels de « quand on était petit » ; les connaisseurs arrivent même à détecter le goût des pesticides dans les fruits et légumes, les thés et infusions. Consommer Bio, c’est donc se protéger des produits chimiques sous toutes les formes à long terme. Mais qu’en est-il de l’avantage du Bio en termes d’antioxydants, de fibres alimentaires, de vitamines, etc., dans les travaux de recherche ? Y a-t-il des liens avérés entre produits chimiques et maladies chroniques ?
- Produits Bio et qualité nutritionnelle
- Produits des fermes agricoles
Depuis quelques années, les recherches indépendantes convergent sur le fait que le Bio contient moins de nitrates, moins de nitrites et moins de métaux toxiques. De plus, la teneur en antioxydants, particulièrement les polyphénols, serait de loin supérieure dans le Bio.
Le « British Journal of Nutrition » a publié une synthèse de quelque 343 études menée par l’Université de Newcastle au Royaume-Uni, abondement citée dans la littérature. Cette étude réalisée à la demande de la Commission européenne concernait les fruits, légumes et céréales. Ce qui ressort sans équivoque est que les produits Bio sont effectivement plus riches sur le plan nutritionnel, qu’ils contiennent jusqu’à 69% en plus d’antioxydants et polyphénols (protection contre les maladies cardiovasculaires et les cancers) et jusqu’à 48% en moins de métaux lourds et toxiques. En plus, toujours selon ces études (Niggli, 2014), les fruits et légumes Bio contiendraient entre 4 et 7 fois moins de pesticides !
- Types d’aliments et présence de pesticides
L’« Environmental Working Group » (EWG) est une organisation qui édite un rapport annuel (https://www.ewg.org/foodnews/summary.php#.WgCXPUy7iRt) sur l’état de l’alimentation Bio en Amérique du Nord; leurs listes des produits les plus affectés et les moins affectés par les pesticides sont très connus. « Les 12 salopards » et « les 15 propres », sont devenues une sorte de référentiel pour les consommateurs qui veulent faire les choix les plus sains et les plus durables en matière de produits alimentaires, sans grever leur budget. Cette classification peut varier légèrement d’une année à l’autre.
Les épinards, le chou frisé et le chou vert sont venus en tête des «12 salopards», ce qui signifie qu’on doit choisir les versions Bio de ces légumes populaires. Les autres aliments figurant sur la liste des «12 salopards» sont les pommes, les concombres, les poivrons et les raisins – tous des aliments avec des peaux relativement fines qui protègent peu contre les effets nocifs des pesticides (Benabdelmalek, 2016).
En revanche, les aliments sur la liste des « 15 propres » tels que les avocats, les melons, les aubergines, et le pamplemousse, avaient des taux de contamination de pesticides relativement faibles. Même si le consommateur ne peut pas se permettre d’acheter Bio tout le temps, il peut être rassuré car ces aliments non Bio sont relativement sûrs à consommer. A quel point sont-ils sûrs, pourrions-nous demander ? Selon l’EWG, de tous les avocats testés, 1% seulement ont présenté des pesticides détectables, tandis que 89% de tous les ananas testés ne comportaient aucun résidu selon l’étude (Benabdelmalek, 2016). Bien que le maïs sucré non Bio et la papaye comportent des taux très bas de pesticides, 95% de ces produits vendus sur le marché aujourd’hui sont des OGM (Benabdelmalek, 2016).
Pour les produits les plus contaminés, divers organismes publient des listes régulièrement. Dans la liste érigée sur la base d’inspections officielles menées notamment par l’USDA et l’Agence canadienne d’inspection des aliments, les chiffres de la figure 1 représentent donc le nombre de pesticides détectés dans chaque aliment.
Une étude très récente (février 2018) de l’association Générations Futures (www.generations-futures.fr) a présenté des listes de fruits et légumes avec les pesticides, tels qu’analysés en France, et montre des résultats différents par rapport aux travaux de l’EWG aux USA : les raisins et les céleris branches sont les plus contaminés. Cette analyse conduit à la nécessité de faire les mêmes travaux en laboratoire au Maroc, dans les conditions locales, pour pouvoir communiquer justement sur les produits à consommer Bio en priorité, au cas par cas.
Par ailleurs, Générations Futures a donné pour analyse en laboratoire une quinzaine de paquets de mueslis (céréales, fruits secs), connus pour leurs bienfaits en fibre. Une nette différence se dessine entre les produits Bio et les produits conventionnels. Dans les 10 boites non Bio, quelque 141 résidus de pesticides ont été répertoriés, dont 81 considérés perturbateurs endocriniens. L’association considère que la source peut venir de l’agriculture intensive, mais aussi des traitements dans les silos et les ateliers d’entreposage.
- Produits d’élevage Bio
Les chercheurs apportent de plus en plus de preuves scientifiques montrant que les efforts mis dans le soin apporté aux animaux par les éleveurs Bio, se retrouvent dans la qualité des produits. Dans le conventionnel, au nom de la productivité, un grand volume d’hormones de croissance est administré aux bêtes. Le cas des moutons que l’on engraisserait avec des corticoïdes à l’approche de la fête du sacrifice soulève beaucoup de débats dans le monde musulman. Il est important de rappeler à cet égard que 70% de la production mondiale d’antibiotiques est destinée à l’élevage.
La sonnette d’alarme est régulièrement tirée concernant l’augmentation alarmante des cancers du sein et de la puberté précoce chez les jeunes filles, dues à ces hormones de croissance. L’autre sujet de préoccupation dans le milieu médical est le phénomène de résistance aux antibiotiques, de plus en plus fréquent, qui est attribué aussi à ce genre de pratiques courantes, bannies dans l’élevage Bio. L’élevage Bio consomme significativement moins (ou pas) d’antibiotiques que le conventionnel, contribuant à limiter le développement de l’antibiorésistance (ANSES, 2017).
Les normes dans les cahiers des charges de l’élevage Bio sont exigeantes, avec au moins 60% du régime alimentaire constitué de fourrage (pâturage, foin ou ensilage), alternative bio aux fertilisants à base d’azote. Les paysans Bio cultivent ainsi différents mélanges de fourrages et légumineuses dans leurs champs pour nourrir leur bétail et fixer l’azote dans le sol. Etant donné aussi que la Bio implique des intrants azotés sous forme d’engrais, l’azote relâché par les racines de la plante s’avère moins polluant que dans l’agriculture conventionnelle.
- Problèmes de santé chez les consommateurs
Il n’y a pas un mois sans scandale alimentaire et de nouveaux liens établis entre pesticides et problèmes de santé. Rien d’étonnant à ce que l’information publique répète que « manger Bio, c’est faire de la prévention et éviter des risques » (Laghzaoui, 2015). Si d’après plusieurs études, les chercheurs savent que des différences nutritionnelles sont avérées, reste à savoir si le régime alimentaire en Bio a un impact bénéfique sur la santé humaine. Il faut reconnaître que les études scientifiques de longue durée sur la question n’abondent pas pour l’heure (Sasco, 2016). En fait, les études pour identifier de tels effets de manière systémique ne sont pas faciles à mener ; il existe cependant des preuves significatives sur leur effet sur la santé humaine et animale, que nous synthétisons dans la suite.
Diverses études de laboratoires scientifiques indépendants font apparaître les problèmes de santé dus aux pesticides. Les méta-analyses, disponibles sur Internet et dans des revues spécialisées qui regroupent des centaines de recherches dans divers pays, mettent en évidences des corrélations entre certains types de cancer et les produits chimiques, notamment les travaux récents du Centre de cancer (CIRC) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Un rapport de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique (125 pays) a averti que l’exposition aux substances chimiques représente une menace majeure pour la santé et la fertilité humaine. Les pesticides sont l’une des catégories de substances toxiques mentionnées dans ce rapport, qui sont également mentionnées dans une déclaration scientifique de l’«Endocrine Society» des USA.
Trois cohortes d’études comparatives ont été publiées. Elles ont trouvé que la consommation régulière de légumes et de produits laitiers Bio était associée à des impacts positifs, dont 58% de réduction de risque de malformations génitales (Stergiadis et al., 2012) chez les garçons et une réduction de 21% de pré-éclampsie durant la grossesse. Une étude antérieure aux Pays-Bas (Brantsæter et al., 2016) a montré que le fait d’opter pour du lait Bio réduisait le risque d’eczéma de 36% chez les enfants de moins de deux ans.
Plus de 80 articles scientifiques, publiés entre 2008 et 2011 (Auber et al., 2012), confirment une corrélation positive entre l’exposition aux pesticides et plusieurs cancers :
- L’augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes, de la prostate et des testicules chez les hommes et des lymphomes chez les personnes ayant les teneurs les plus élevées en organochlorés ;
- L’exposition de la mère pendant la grossesse aux pesticides est corrélée avec l’incidence de cancer chez l’enfant.
Commandé en 2016 par le Ministre de l’Agriculture français, Stéphane Le Foll, à l’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique), le rapport « Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique ?» a été présenté par ses auteurs Natacha Sautereau et Marc Benoît, le 25 novembre 2016 (http://www.itab.asso.fr/actus/2016-amenites-ab.php). Pour la première fois en France, une étude tente de quantifier les avantages et les inconvénients du Bio dans les domaines de l’environnement, de la santé et de l’impact social. Les bienfaits de l’agriculture Bio sont confirmés.
La deuxième partie de ce rapport traite spécifiquement de l’impact financier sur la santé. Uniquement pour les cancers (d’autres maladies, comme Parkinson, ont un lien qui avait déjà été avéré avec les pesticides) pouvant être imputés aux pesticides, « l’hypothèse basse est de 52 euros par hectare et par an et la plus haute de 262 euros ». Des dépenses qui seraient évitées en agriculture biologique. Un doute subsiste néanmoins sur cette évaluation quantitative, car comme explique Natacha Sautereau : « dans le domaine de la santé, c’est là que les chiffrages sont les plus élevés, mais aussi que les incertitudes sont les plus grandes, c’est pourquoi la production des résultats chiffrés est difficile » (Astier, 2016).
Pour certains sujets, les chercheurs n’ont donc pas pu quantifier les effets, mais soulignent un moindre impact qualitatif de l’agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle. Ainsi, l’élevage Bio consomme significativement moins d’antibiotiques que le conventionnel, contribuant à limiter le développement de l’antibiorésistance (Astier, 2016). Ces conclusions ont été confirmées par l’étude récente publiée par « Environmental Health » (Axel et al.), l’une des plus exhaustives.
Encore plus récemment, une étude publiée par ce même journal anglais en octobre 2017 établit des liens clairs entre l’agriculture et les incidences sur la santé (Axel et al.), basée sur des études épidémiologiques, des travaux mathématiques et des analyses chimiques des produits alimentaires (teneur en nutriments et teneur en contaminants). Elle démontre que les aliments conventionnels sont nocifs pour le développement cognitif de l’enfant, et confirme notamment les soupçons que les pesticides endommagent durablement les cerveaux des bébés, encore en développement.
Régulièrement, la presse marocaine pointe des situations de fraude, d’usage abusif de pesticides ou encore de recours aux pesticides non homologués comme c’est le cas dans l’oriental ayant conduit à la destruction de 136 tonnes de pommes de terre par l’Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA). Au-delà de cette opération ponctuelle, cet organisme communique régulièrement un bilan mensuel de contrôle des produits alimentaires saisis et détruits pour non-conformité à «la réglementation national en vigueur ».
Questions aux responsables du contrôle
Les questions suivantes sont légitimes à poser à nos responsables et ils sont tenus de répondre aux interrogations du citoyen et du consommateur marocain :
- Pourquoi l’ONSSA, l’office national de sécurité sanitaire, organe central du contrôle qualité, parle toujours de « réglementation en vigueur », alors qu’il pourrait être plus spécifique sur la nature de cette réglementation ?
- (ii) Est-ce que l’ONSSA ne pourrait évoquer plus clairement, en collaboration avec le Ministère de la Santé, les dangers réels des produits incriminés sur la santé du consommateur ? ;
- (iii) Pourquoi l’ONSSA ne cite-t-il pas les auteurs des fraudes ?
- (iv) L’ONSSA fait de la sensibilisation, et c’est tant mieux, mais pourquoi pas plus de contrôle effectif, main dans la main avec organismes associatifs représentatifs ? ;
- (v) A quel point la santé des marocains est-elle menacée par l’insuffisance de contrôle et l’utilisation abusive des pesticides en production végétale et des antibiotiques et des hormones en production animale ? Quand allons-nous commencer à faire des études de risques sur la santé en laboratoire ?
- (vi) Si les produits destinés à l’export sont sujets aux analyses par les pays importateurs, avons-nous au Maroc suffisamment de ressources humaines et de laboratoires spécialisés en matière d’analyses des résidus de pesticides pour savoir si ces produits sont propres à la consommation par les citoyens marocains ?
- (vii) Les revendeurs des produits phytosanitaires, sont-ils suffisamment formés en encadrés pour exercer ce commerce et dispenser les conseils aux agriculteurs qui ne sont pas capables de lire les notices et modes d’usage des produits phytosanitaires ? Pourquoi l’ONSSA, qui délivre les agréments aux revendeurs, ne prend-il pas en compte leur niveau de formation et leur expérience en la matière ?
- (viii) Est-ce que les revendeurs des pesticides, les conseillers agricoles et les producteurs sont formés en matière de propriétés, d’efficacité et des effets sur la santé du consommateur et sur l’environnement de ces produits dans le cas d’une mauvaise utilisation ?
- (ix) Le citoyen peut-il disposer d’études établissant un lien entre d’une part l’évolution des cancers par type et selon les régions et d’autre part l’utilisation intensive des pesticides et nitrates dans l’agriculture, comme cela commence à se faire dans les pays du Nord ?
Bennasseur Alaoui, Ph.D. Professeur d’Agronomie, IAV Hassan II et Slim Kabbaj, Ph.D. Entrepreneur