« Comme avant ! » par Slim Kabbaj, Président du Club des Entrepreneurs Bio
Qu’est ce qui aurait pu changer ?
Le confinement prend fin peu ou prou et la valse des voitures reprend son cours, les entreprises se sont remises au travail, les industries se remettent en marche. La ville retrouve son rythme, avec la pollution des tuyaux d’échappement, les fumées des cheminées, les rejets de gaz carbonique. Il y avait le confinement et il y a déjà l’après : les nuages gris au dessus des centres urbains, les feux sauvages dans les champs, y compris le caoutchouc qui brûle et le souffle toxique qui se diffuse à vue d’œil. Bientôt, les trainées d’avion rempliront le ciel ; l’océan et les rivières perdront leur transparence et retrouveront leur couleur trouble. Nous avons quelque peu pris conscience de notre impact sur l’environnement pendant le confinement, mais qu’est-ce qui a changé dans les faits ?
Les terrains agricoles qui avaient connu un peu de repos, ont de nouveau rendez-vous avec le ballet des épandages de pesticides et de produits chimiques, et le cercle vicieux de la contamination du sol, du végétal, de l’eau, des gouttes de pluie et de l’air est en train de reprendre. L’exposition des populations aux pesticides continuera à croître. L’attractivité du « junk food » refait parler d’elle et notre alimentation arrosée de chimie sous des formes diversifiées va continuer, avec les effets cocktail dont nous avons commencé à nous rendre compte, alors que les conséquences sur la santé sont de moins en moins contredites ; cancers et maladies auto-immunes obligent ! Qu’est-ce qui a changé est donc une question judicieuse !
A force de faire la guerre à la nature depuis trop longtemps, celle-ci a déterré ses armes inhumaines, microscopiques et macroscopiques, depuis les virus « infiniment petits » aux changements climatiques « infiniment grands ». L’avant goût de ces derniers mois de pandémie du coronavirus a été suffisant pour créer la panique et nous envoyer nous terrer comme on pouvait, là où on pouvait, et nous avons laissé des centaines de milliers de morts sur le champ de bataille, ainsi que des blessures multiples et variées. La prochaine catastrophe, déjà annoncée par les scientifiques, sera sans doute due aux effets des perturbations climatiques et tout un chacun peut en voir les signes avant-coureurs : tempêtes et grêle inhabituelles, chaleurs et froids extrêmes, sècheresses et inondations répétitives, ouragans récurrents et de plus en plus grands et nombreux. Serions-nous en train de perdre la guerre parce que nous n’aurions pas pu changer, pour le moment ?
Les solutions existent
L’Humanité est certes capable d’aveuglement et du pire ; la bonne nouvelle est qu’elle a souvent la capacité de trouver des solutions aux problèmes qu’elle crée et/ou qu’elle confronte, quand il y a la prise de conscience et la volonté qui suit. Les options existent pour la plupart des problèmes que nous avons décrits ci-dessus ; ce qui va faire la différence dans le résultat réside dans les choix de la politique que fait d’abord l’Etat, en tant que facilitateur, régulateur et stratège, et aussi le choix des entreprises locomotives et des leaders du privé les plus influents et les plus innovants. La prise en compte de nouveaux paradigmes par les décideurs, donneurs d’ordre et leaders d’opinion est ici essentielle et les valeurs sous-jacentes aux plans d’action déterminantes : la santé et le bien être des populations, l’éducation et la création d’emplois, l’impact sur la nature – respect de la biodiversité – préservation de l’environnement – baisse des rejets des gaz de serre et autres mesures d’atténuation des changements climatiques.
Dans cette politique, il faut intégrer la sensibilisation, la formation des professionnels et des consommateurs et expliquer les enjeux, la démarche et l’intérêt des acteurs, et mettre en place les programmes adaptés. C’est une partition d’ensemble où chaque partie prenante a un rôle fondamental à jouer, sans égoïsme et avec lucidité, en comprenant les mutations en cours et celles espérées, les changements d’habitude nécessaires et cibler là où il faut concentrer les efforts.
Au Maroc, un exemple de politique innovante a été initié grâce au plan national des énergies renouvelables, le solaire et l’éolien. Les efforts et les investissements sont en train de porter leurs fruits, que ce soit en termes d’indépendance énergétique et d’autonomie par rapport aux fluctuations du marché mondial, notamment celui des hydrocarbures actuellement en crise ; ces plans attirent l’initiative et l’investissement privés. Dans ce cadre, la mobilisation des compétences nationales a créé un mouvement vers la création d’emplois à haute valeur ajoutée et l’attractivité du secteur, sans parler de l’image de marque du pays.
Volonté politique de l’Etat et pro-activité des entreprises
L’intérêt national pour les véhicules électriques, l’hydrogène vert et autres carburants non polluants et renouvelables est actuellement exprimé par les donneurs d’ordre du Ministère de l’Industrie, de l’Investissement et du Commerce et devrait donner lieu à des plans d’action d’envergure et à un partenariat public-privé. Des recherches internationales poussées sont initiées par ailleurs sur des nouvelles technologies pour développer des avions sans rejet de gaz à effet de serre. Dans ces domaines, nous ne devons pas perdre de temps et lancer des projets adéquats sur le plan national ou contribuer à des programmes internationaux qui vont faire la différence rapidement afin de préserver notre planète et nos territoires, dans une coordination public-privé mutuellement bénéfique.
En matière d’agriculture, les productions Bio, agro-écologiques et en permaculture se présentent bon an mal an comme une option saine et écologique, susceptible de donner aux consommateurs une alternative viable et fiable ; elles sont également susceptibles de créer des emplois pérennes et des classes moyennes dynamiques dans les campagnes. Les efforts louables des entreprises privées, dont certaines ont débuté il y a plus de trente ans, commencent à attirer l’attention du marché national et à se positionner favorablement à l’export. Le Ministère de l’Agriculture a posé les jalons dans le plan Maroc Vert et le contrat programme avec la filière de l’Agriculture Biologique. Le plan « Green Génération » lancé récemment exprime une forte ambition nationale à bon escient.
Aujourd’hui, la crise du coronavirus a élargi l’attente des consommateurs et celle des opérateurs et il est temps désormais d’accélérer tout en recherchant les meilleures synergies public-privé, en s’adossant aux locomotives du secteur et également de trouver les meilleurs effets levier pour toutes les filières Bio, produits alimentaires et cosmétiques, compléments alimentaires et produits d’entretien. Ces secteurs concernent en priorité le Ministère de l’Agriculture, ainsi que le Ministre du Commerce et de l’Industrie et le Ministère de la Santé. L’atténuation des rejets de gaz à effet de serre de l’agriculture et de l’élevage, les sols comme puits de carbone, le refus des pollutions des sols, de l’air et de l’eau, la consommation sans résidus de pesticides, sont devenus des préoccupations majeures de franges significatives de la population. Ces enjeux de santé et de protection de la nature concernent significativement les agriculteurs, les agro-industriels, et aussi les chefs de cuisine et les consommateurs, de toutes couches sociales.
Dans tous ces domaines, alors que la pandémie du coronavirus prend fin semble-t-il, il est temps d’évaluer sereinement et objectivement les programmes du passé et de relancer des nouveaux plans sur de bases analytiques approfondies, en s’assurant de se projeter dans le futur avec toutes les conditions de réussite. Il est tout aussi nécessaire de mobiliser et d’impliquer les acteurs qui ont de grandes chances de réussir et de faire réussir ces secteurs sensibles et stratégiques pour notre économie et pour notre avenir. Chacun dans son rôle, et main dans la main, le public et le privé ont souvent montré qu’ils pouvaient trouver des solutions adaptées, sans préjugés et sans parti pris, dans le cadre d’une économie libérale et régulée avec intelligence et avec finesse. Actuellement, l’attente des acteurs et de la société est grande ; les entrepreneurs du Bio en particulier ont souvent été au rendez-vous avec des actions fortes et mobilisatrices ces dernières années. L’avenir et les indicateurs économiques nous diront si nous avons été à la hauteur et avons réussi ensemble, public-privé, à prendre ce tournant historique capital.
Slim Kabbaj
Président du Club des Entrepreneurs Bio – Maroc